une journée de travail

Le matin, mon réveil ne sonne jamais.

Il reste définitivement muet. Je n’ai pas besoin de le malmener et mon corps n’a pas à s’extraire brutalement de son sommeil. La difficulté réside dans le fait de mener une vie sans réveil contraint ; mon travail est de rendre chaque journée différente.

Comme je suis déjà assez âgée, cela commence par la façon d’ouvrir les yeux, le gauche puis le droit ou le droit puis le gauche, à demi ou en entier, doucement ou rapidement ; ensuite, comment s’étirer, bouger ses membres ; prendre conscience de son état mental : émerveillé, agacé, engourdi, agité, hébété, amusé. Passer ensuite en revue les événements de la nuit, les rêves, les cauchemars. Respirer. Inspirer.

Profiter, si les volets et la météo le permettent, du rayon de soleil qui vient se poser sur son front. S’asseoir, se lever ou se recoucher. Avoir le choix de dormir jusqu’au lendemain. Dans ce métier, la qualité de la literie est très importante ; de même avoir à portée de main une étagère comprenant les ouvrages qui correspondent à son état du moment. Des essais pour contrer le vide qui peut s’installer dans une existence si rude, je veux dire sans activité salariée imposée ; des romans pour se divertir ; des livres d’actualité. Partager son lit avec un partenaire sans emploi participe également à varier la teneur de ses journées. Il faut bien choisir s’il est judicieux de sortir du lit et à quel moment. Ne pas le faire poussé par la mauvaise conscience du travailleur qui demeure encore tapie au fond de vous et tente de vous ramener sur son droit chemin monotone.

Boire un café, un thé ou une infusion de menthe ? Descendre au bar en bas de chez soi, le préparer dans la cuisine ou aller au bord du lac ? Bailler. Prendre une douche pour se faire plaisir, même sans collègues ni patron pour renifler notre propreté. Penser à la chance que vous avez de ne pas subir ni les uns ni les autres (les patrons et les collègues). Effectuer ensuite le choix difficile du programme ou non programme des heures à venir.

Différentes options s’offrent à moi. Je reste parfois à ma fenêtre, j’écoute les oiseaux, essayant de les différencier. J’erre dans la ville, je dérive si l’humeur le permet. Je pars en randonnée ou me promène le long du Rhône. Parfois, je bois et m’enivre. Je peux aussi redécorer les murs de la ville, j’y colle des pamphlets ou y peins de belles lettres percutantes : Ne travaillez jamais ; la paresse est ma meilleure amie ; mon lit, ma vie.