J’ai imaginé le printemps planqué derrière un arbre, feignant de ne rien savoir… observant d’un oeil le réveil arbitraire des rêves et des cauchemars s’abattant sur nos corps et nos esprits poussés au confinement.



Une nuit de printemps figé
Chère Hani,
J’espère que tu vas bien. J’ai apprécié le poème que tu nous as offert. Quant à moi, j’ai d’abord attendu, confiante dans mon lit, « l’effondrement » et la venue d’un été libérateur : l’an un. Puis, je me suis demandé si les saisons signifiaient encore quelque chose. J’ai imaginé le printemps planqué derrière un arbre, feignant ne rien savoir… observant d’un oeil le réveil arbitraire des rêves et cauchemars s’abattant sur nos esprits et nos corps poussés au confinement.
Le calendrier s’est arrêté et il est vrai que la sève d’avril a continué de circuler. Malgré le danger, elle a répandu des espoirs fous et déraisonnables, tout verts et bourgeonnant ; l’impossible fleurissait comme une pivoine. Bercés par le chant de mésanges et de pinsons indifférents, certains furent incités à la paresse, ou comme tu le dis, à la méditation, à l’amour, à l’invention de langages, aux « re » : redéfinir, redécouvrir, réinventer. Nous étions nombreux à augurer une économie caduque, un système trépassé, des solidarités armées, des écologies et humanités ravivées, des prises de conscience généralisées ; liste infinie de futurs à esquisser…
Mais bien avant l’arrivée du muguet, l’angoisse prévalait également face à la maladie, la mort ou l’isolement. De plus parallèlement, nous voyions les jougs s’intensifier sous le soleil en écrasant l’humanité : le travail forcé, l’exposition à des risques quotidiens, l’imposition de nouvelles contraintes, la survie et la surprécarisation, la faim qui tord les tripes, les coups qui pleuvent. Le printemps s’est accroupi dans les hautes herbes, il a bouché ses oreilles pour que la nature continue de se pavaner.
Inspire et expire au souffle tantôt brûlant exaltant, tantôt glacé paralysant. Les pétales des cerisiers et des magnolias recouvrent la terre de leurs rêves de libertés. Le dangereux virus n’est pas celui qu’on croit… Les riches n’en finissent pas d’engranger et les « grands » de contaminer, le pouvoir s’étend sur des vies qui ne vaudront jamais rien, avec des lois de plus en plus meurtrières ; la crise et la guerre nous étreignent. Le printemps s’est couché une fois de plus, sans ouvrir la bouche, sur une planète dévastée.
Le vent peut-il tourner, et dans quel sens ? Le cours habituel des saisons chagrines reprendra-t-il le dessus ? La réalité brutale repousse chaque jour plus drue ; serait-ce déjà la fin de l’espoir, inscrite sur un tableau noir de fin du monde. Comment réveiller le printemps et la sève en chacun de nous ? Un printemps permanent qui comprenne, crie, se batte et vainque contre un régime mortifère et pour le règne du vivant.