lettre du lendemain

Popocatepetl, printemps 2022

Ma Mie, 

Je t’écris depuis un coin de mon cerveau en espérant que ces mots te parviendront par un canal ou un autre. Je ne crois pas que je trouverai de support pour les fixer, à moins de graver cette missive sur la roche qui m’entoure. 

Il y a quelque temps, la terre a tremblé, provoquant une éruption. La lave a coulé et m’a embrasée. Je suis alors sortie de mon hibernation et j’ai décidé de remonter. Dans l’obscurité, j’ai entamé une lente ascension. Agrippée à la paroi, je me suis collée à la pierre brûlante qui a roussi et cloqué mon torse. Je me suis écorché les doigts jusqu’aux os. Arrivée au sommet du cratère, j’ai déchiré mes paupières en les ouvrant. J’ai ainsi recouvré la vue. J’aurais préféré rester aveugle, même si l’odeur de mort et le bruit des bottes ne laissaient aucun doute. 

Assise sur le toit du monde, je découvre l’ampleur du désastre. Mon coeur saigne sur mon corps meurtri. Assurément, mon apparence ne correspond pas aux canons de beauté de ce siècle ni des précédents. Je suis creuse, voire rachitique, la peau fendue au contact de la lave ; dans mes longs cheveux gris et poussiéreux nichent des araignées et des vers ; mes yeux jaunes fraîchement décousus trahissent une âme de diablesse.

Sur la cime du volcan, une main devant le front, je contemple la dévastation. Je parcours du regard la circonférence de la terre, de l’équateur aux pôles. Les colonnes de fumée noire, les flammes et les cendres recouvrent le paysage. Des pans entiers de continents ont sombré. Comme un conte funeste, où les méchants mages et leurs maléfices auraient ravagé le vivant. Le néant a vaincu. Les populations ont connu les exodes ; blessés, bientôt décimés, les terriens et terriennes disparaissent. 

J’observe et je comprends. J’existe pour te rendre compte de la catastrophe, mon amie ; je me suis réveillée pour ce moment de transmission. Je ne suis pas la première, je suis beaucoup plus jeune. Depuis deux cents ans, j’habite le magma et j’entretiens le feu. Puissante et fière, je suis Lalla, je suis Petra, je suis Vera, je suis Emma. Je suis Ulrike, je suis Monique, je suis Audrey. Je suis Phoolan, je suis Angela, je suis Soha. Je suis elles, elles et elles, avant la métamorphose.

Quant à toi, je te pressens trop vive et mouvante pour que tes contours ne se dessinent ;  symbole abstrait d’espoirs et de renaissances, rien que ça ! quel poids sur tes frêles épaules… Es-tu seulement née ? Te propages-tu dans la verte Amazonie ou protégée par les coraux des fonds marins – ultimes territoires hauts en couleur ? Je te sais, toi aussi, une et toutes à venir. Guerrières protectrices de l’au-delà, depuis les faîtes et les abîmes, nous vous attendons pour nous relever. Ne tardez pas.

        Ta Morceline