J’ai vu le printemps passer avec ses brancards, ses faux acérées et ses infirmiers, des vieux mourir en pleurant de ne pas être accompagnés, disparaître au milieu de cosmonautes sans visage, dispersés et brûlés dans un bruit de bottes et de guerre à venir, moi aussi j’ai hurlé de panique et j’ai pleuré les pertes, je voulais serrer des corps dans mes bras en guise de réconfort, toucher des peaux et embrasser à pleine bouche, je voulais être assassine, je cherchais l’humanité disparue, dichotomie et impasse d’une solidarité à distance, il fallait accepter de jouer le jeu de la séparation des corps, télé-travailler en temps de mort pour feindre que « non non rien n’a changé », l’actualité en continu a creusé de nouvelles tombes dans nos esprits, nous ne savions plus penser, les serres de l’angoisse dans nos poitrines nous ont pétrifiés, nous avons laissé des caissières et des ouvrières se faire sacrifier sur l’autel économique, et perdurer les inégalités dans les démesures, prisonniers doublement condamnés et tabassés, sans abris raflés et parqués dans des sous-sols, réfugiés oubliés broyés entre deux rangées de barbelés, nous sommes devenus fous, des gens confinés isolés se sont jetés par des fenêtres de plus en plus étroites, des femmes et des enfants sont morts sous les coups de brutes alcoolisées, les autorités nous ont asphyxiés de discours paternalistes, de drones et de police, l’armée a tiré des balles réelles, les nécrophiles en chef et en bourse ont tenté de conserver jusqu’au bout leurs privilèges, ils ont voulu maintenir en vie l’économie, ils l’ont placée sous respirateur artificiel et enfin, l’électrocardiogramme a affiché la mort subite du système, le virus avait vaincu son créateur, la ligne droite s’est prolongée à l’infini et le moniteur s’est éteint.

Nous avons vu arriver l’été qui ne savait où poser ses bagages, il faisait triste et froid, nous avons d’abord pleuré toutes les larmes du monde, nous avons erré hébétés, nous nous sommes cognés dans le noir, nous avons cherché et parcouru monts sans merveille, nous nous sommes retrouvés, tâtés et comptés, puis à nouveau perdus dans des étreintes infinies, nous avons ouvert les yeux, nous avons apprécié le bleu du ciel et le rouge de nos lèvres, nous avons senti la terre et le sable glisser entre nos mains, nous avons respiré l’herbe et les fleurs, nous avons écouté les chants et les cris des bêtes, nous avons choisi de nous arrêter, nous avons dormi, nous avons dansé, nous nous sommes imprégnés de ces existences insoupçonnées, nous avons laissé fleurir les milliers d’âmes enfouies au plus profond de nous, nous avons créé de nouvelles communautés humaines, multiples et solidaires.
L’Automne des possibles nous attendait souriant et confiant.
mmmmmmm