
66ème sous-sol, Nord-est
Nestor Edgar Blaise Ursule Edwige ?
Tu ne m’as jamais dit ton nom – je ne l’aurais d’ailleurs pas compris, comment te baptiser ? Reviendras-tu ? Tu me manques dans les profondeurs ; j’ai peur de ne plus savoir respirer dans le noir. Heureusement que d’autres y descendent, chaque jour plus loin et plus nombreux.
Je me souviens de la première fois où je t’ai entrevue, ombre furtive sur une place déserte. Puis, les rencontres se sont fait plus fréquentes, toujours la nuit ; par un frôlement, un regard ou un cri. Je me suis habituée à ta présence diffuse, et tu as fini par investir mon esprit. Je voyais enfin clair, malgré une réalité devenue trouble. En effet, je commençais à douter, systématiquement ; remettant en question jusqu’à mon existence.
Le matin, mon lit refusait que je le quitte, il grinçait. Je voulais rêver mes journées, ne pas me réveiller sous contrainte. Je pensais à toi et le monde m’appelait. Sourire, caresser, sentir, humer, toucher. Mais dehors, la nature emprisonnée agonisait. Dans la rue, je cherchais les vivants auxquels communiquer ta flamme. Ils se mouvaient tels des feux follets, étouffés sous les nuées de cadavres se pressant et se poussant dans des caveaux béants. Toi, tu appartenais à une autre catégorie, créature inhumaine lovée dans un coin de mon cerveau.
Des flux colorés zigzaguaient à cent à l’heure autour de moi et je ne savais comment m’échapper, lorsqu’une fois, peu avant l’aube, j’ai touché ton pelage. Tu étais doux comme un baume et cela m’a profondément calmée. Mais les rancoeurs, les aigreurs et les egos, les minables et les petits chefs surgissaient de toute part pour empêcher quelque puissance enfouie d’exister. Au travail, dans les administrations et les magasins, partout de l’écrasement, des peurs et des faux-semblants.
Je ne supportais plus la lumière du jour se reflétant sur les vitrines. L’extérieur m’éblouissait. Je me cachais et imitais tes habitudes, ne sortant plus qu’entre deux heures et quatre heures du matin. C’est alors que tu m’es véritablement apparu au détour d’un parking : boule de poils multiforme, être sans visage aux yeux pourtant perçants.
Tu m’as pris la main ; j’ai senti tes griffes sans aucune peur. Nous avons descendu tranquillement, comme dans un songe, les milliers de marches qui menaient à ta demeure souterraine, ton antre du soixante-sixième sous-sol. Je me souviens de ton armoire, vide désormais, remplie d’uniformes volés à tes victimes ; des montagnes de marchandises que tu t’amusais à disloquer ; de l’argent brûlé sur le bitume qui te servait d’éclairage.
Je me suis assez vite installée, ne remontant que pour t’accompagner dans tes virées nocturnes où il s’agissait de te ravitailler en chair ma foi humaine. Ô mon ami, comme tu me manques ! Tu as migré et moi je reste, refusant la vie en surface, préférant à jamais ces profondeurs que tu m’as offertes si gracieusement. Sache pourtant que je ne parviens toujours pas à manger mes semblables, même les plus corrompus, et que je suis plutôt heureuse que certains s’installent dans les sous-sols voisins. Rassure-toi, ils ont tous quelque chose d’agréablement monstrueux !
Ta Morceline.

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