Je m’appuyai contre le mur et fermai les yeux.

Je peinais à tenir debout. Ma tête pesait lourdement sur mes épaules, comme attirée par le sol. Je me redressai et découvris mon reflet dans le miroir de la chambre. J’eus un choc, je ne me reconnaissais pas. Devant moi, se dressait une femme à la chevelure épaisse, les sourcils noirs et le regard furieux ; cette femme me contemplait sans sourire. Je clignai l’oeil gauche, puis le droit, et me collai à la glace pour scruter mon visage. J’ouvris la bouche. Rien à faire, « je » était autre. A qui appartenait cette enveloppe corporelle ? Je fronçai le nez, plissai le front, esquissai une grimace… non, non et non. Impossible ! que s’était-il passé ? Un accès de colère sourde me gagna, je saisis le vase sur la table de nuit et le lançai avec rage sur ce reflet qui mentait. Le verre se brisa.
J’habillai un corps maigre plus poilu que le mien. Je sortis avec hâte. J’appuyai sur le bouton de l’ascenseur et défaillis à la vue de mes ongles, qui ressemblaient à des griffes. Je décidai de prendre l’escalier. Je me perdis, hésitai devant les marches si raides ; je pliai les jambes et mes genoux craquèrent. Les murs se resserrèrent dangereusement, j’allais mourir étouffée. Je dévalai l’escalier en hurlant. Les portes sur les paliers s’ouvrirent les unes après les autres, laissant apparaître des visages menaçants. Je n’avais plus de foyer, où allai-je m’abriter ?
Dans la rue, l’air frais me revigora. J’inspirai profondément. Je regardai le ciel et les nuages me calmèrent ; un rouge-gorge me sourit sur un arbre. Malheureusement lorsque je repris ma route, assez vite, je fus suivie. La femme derrière moi me collait au train, et lui, le grand dégingandé qui m’observait, ne l’avais-je pas croisé sur le trottoir juste auparavant ? Que me voulaient ces gens ? Je courus sur la route au milieu des voitures qui zigzaguèrent pour m’éviter. J’entrai dans un supermarché où je me mis en boule et roulai sous les rayonnages, les marchandises se répandirent à terre. Je crus apercevoir d’autres clients mécontents imiter mon geste, pourtant je ne m’arrêtai pas.
Je croisai des passants zombies qui se pressaient vers les bouches de métro sans se voir. Je cherchais les vivants dans la foule. Mon iris ne supportait plus la lumière qui se reflétait sur les vitrines. Je m’armai d’une pierre et choisis de défoncer la devanture d’une bijouterie, assez coriace ; puis une autre, celle d’un grossiste qui céda rapidement et fut envahie par une horde de pillards, surgissant de je ne sais où ; et une nouvelle, crack ! Je fus bientôt rejointe par celles et ceux que je reconnus comme des semblables et ensemble, nous nous en donnâmes à coeur joie.
***
J’enfilai ma blouse blanche et entrai dans l’immense salle du centre de rééducation. Là, des centaines de lits s’alignaient sous les fenêtres grillagées. Je passai une main moite au sommet de mon crâne chauve et lus, distraitement, le rapport sur la dernière arrivée. Encore une. Mais qu’avaient-ils donc à péter les plombs à ce point ? Le service ne suffirait jamais à les contenir.
« Femme plutôt brune de taille moyenne aux yeux clairs, sans signe distinctif apparent. Arrivée hier à 23h, état catatonique. Demeure prostrée. La garder sous surveillance rapprochée. » Agacé par ces lignes mal rédigées qui ne m’apprenaient rien, je saisis l’ordinateur portable. Je prescrivis des électrochocs et un enfermement préventif de quelques mois. Puis, je regardai la patiente, frappé par son teint transparent et ses yeux verts éteints. J’écartai la mèche blonde qui cachait son visage et immédiatement, un élan irrépressible m’attira vers elle. Je la détaillai avec sa chevelure bouclée, elle paraissait beaucoup plus ronde et rousse qu’il y a cinq minutes. Par quel étrange phénomène se métamorphosait-elle ? Cet être ne semblait pas humain. Le désarroi me saisit à la gorge, étais-je drogué ou contaminé ? Toujours est-il que je détachai les sangles qui la maintenaient prisonnière. Je fis de même avec l’ensemble des personnes internées. J’ouvris la porte blindée à l’entrée et piquai les deux gardes d’une seringue remplie de narcotique. Dans une cavalcade vers la liberté, tout ce beau monde affranchi me piétina. Je ne parvenais pas à bouger et ne sentais plus mes membres. Seule ma pensée demeurait. Déjà mort, j’étais muré en moi-même.