Sa tête explosait et son corps ployait sous la puissance de feu.

Un manège de pensées floues qui tournaient tournaient tournaient jusqu’à épuisement de sa matière grise. Pauvre petite toupie humaine sans assise. Dieu l’observait, il le savait et devait trouver un moyen d’accomplir sa mission. S’échapper et leur prouver la justesse de sa voie. Ne surtout pas renoncer maintenant. Il cherchait des signes dans chaque objet sans pouvoir en distinguer les contours. Son manège fou lui vrillait les sens. Agir, seule cette pensée émergeait. Quelle issue ?
Il court, il court à la prière. Il fonce et trébuche déjà rattrapé par les éducateurs qui le ceinturent. Dans la chute, le ciseau disparu lui échappe, glisse sur le sol. Par une figure désespérée, il parvient à s’extraire des bras qui lui broient la cage thoracique. Il saisit l’arme et la plante dans la chair la plus proche. Le sang jaillit et les coups pleuvent dru. Il perd connaissance. Arrêt sur image. Calme momentané.
Il se réveille au mitard sur une couche glacée. Noir absolu. Les secondes s’égrènent en heures de prières. Il ne sait plus. Son dieu, la jeune fille et sa mère se mélangent dans sa tornade intérieure qui reprend, sans but désormais. Personne ne répond plus à ses prières. Il crie, il hurle, il se débat, il frappe les murs. Des jours et des nuits se succèdent où ses cris de lamentations résonnent en continu dans toutes les cellules du centre. Résonnent à l’intérieur des esprits des autres enfants enfermés. Ses hurlements font écho à leurs propres souffrances ; le temps se dissout, ses cris stridents percent les coeurs. Les éducateurs le menacent, le tabassent pour retrouver le silence rassurant. Inerte, il se tait quelques instants, puis reprend sa longue plainte de jeune loup qui a perdu sa meute, qui cherche la lune pour le guider. Il ne se résigne pas, un nouvel espoir germe en lui, croit au travers de sa bouche et se répand en créant une attache solide avec ses semblables. Dieu a disparu, laissant place aux hommes.
D’autres têtes sont prêtes à exploser si on ne fait rien pour lui qui crie depuis des semaines en bas, des têtes plus claires où les pensées ne partent pas en vrille. Des êtres dont le destin s’est soudé dans cette geôle, qui n’ont pas de dieu mais une confiance et un lien magique, qui se sont compris dans leur isolement et leur exclusion. Adolescents unis contre l’injustice d’un monde auquel ils n’adhèrent pas. Des regards complices, des gestes en symbiose, un seul corps pour toutes ces enveloppes. Une même aspiration, attisée par ce cri : liberté. Pour le hurleur, pour eux, pour tous.
Des rendez-vous dans la cour et des chuchotements. Une clé subtilisée. Ils ont profité du fait que les surveillants se trouvaient hors de leur enceinte. Libérés de leurs cellules, ils se sont enfermés dans le bâtiment central détruisant méthodiquement le matériel. On entendait leurs rires bien au-delà du bourg. Les adultes à l’extérieur s’énervaient tels des pantins impuissants. Déjà l’atelier brûlait, le centre bientôt réduit en cendres. Une nouvelle solidarité était née. Depuis le toit de la bibliothèque, Ahmed s’était senti glisser, rattrapé immédiatement par une dizaine de mains à la poigne résolue. Habité par une étrange paix intérieure, il admirait le brasier avec ses compagnons, humant la fumée qui s’échappait des décombres. Au loin, les gyrophares ne signifiaient plus rien, d’autres flammes s’allumant partout alentour…